Concert JOHN FOGERTY
La Seine Musicale (Boulogne - Billancourt), 31-05-2023
Pas facile aujourd’hui pour des provinciaux de venir dans l’inhospitalière Île de France
assister aux concerts des grands noms du rock, qui trop souvent boudent la province.
Vous n’avez pas intérêt à souffrir d’une fracture du numérique, car cela devient alors
réellement mission impossible. Le rendez-vous est fixé à 20h, et sans retard, à la Seine
Musicale, là où en 2020 nous aurions pu assister au dernier concert en France de Gary
Rossington. Un virus en décida hélas autrement, alors que les billets étaient pris. C’est
vous dire que l’on a tremblé jusqu’à la dernière minute cette fois mais finalement aucun
incident ne viendra perturber la tenue de la manifestation visant à transformer l’île Seguin
pour donner à la Seine des airs de Mississippi et à l’île une atmosphère de de bayou. On
ne peut pas dire que l’accès à cette salle de concert loin des gares soit des plus faciles, et
les multiples embouteillages autour ne facilitent vraiment pas les choses, surtout à l’heure
encore peu avancée de la soirée. Mais même à l’intérieur, après la fouille de règle des
divers sacs, les difficultés continuent.
L’installation n’est pas si simple : la numérotation des places n’est pas très lisible dans
cette très grande salle, et pas mal de personnes se sont trompées de bonne foi, d’autres
ont exploré l’espace, l’air un peu perdu, malgré l’attention et l’aide des placiers. Pas mal
de spectateurs sont encore à chercher leurs places quand la sono change et que l‘on voit
apparaître un groupe sur scène, à 20h 00 pétantes comme indiqué.
Contrairement au bruit qui courait, il y aura bien une première partie, et pas des
moindres : il s’agit du groupe psychédélique Hearty Har, dans lequel on retrouve Shane et
Tyler, deux des fils de la vedette, aux guitares et au chant, assistés de Jesse Wilson
(basse), Richard Millsap (batterie), Nick Stratton (guitare), et Douglas Lamothe
(claviers). Tout ce petit monde génère avec enthousiasme un joyeux et sympathique
barouf, avec des influences très fin des 60’s, avec le logo du groupe en fond de scène sur
un grand écran. Est-ce pour cela que la sono principale (qui ne produisait pas un son
fantastique pour le groupe, problèmes de réglages?) déclare forfait après quelques
minutes ? Inquiétant pour les spectateurs qui se demandent si le paternel va pouvoir se
produire dans de bonnes conditions. Mais le groupe ne se démonte pas pour autant, tout
finit par repartir et la relève de notre papy rocker peut nous faire partager une prestation
plutôt agréable et bien dans l’esprit, avec des ambiances guitaristiques variées, de
nombreuses parties en harmonies et quelques joutes en forme de ping-pong entre Nick
Stratton et Shane Fogerty. Les connaisseurs ont aussi apprécié le petit clin d’œil du
groupe aux Fab Four avec la citation de « I Want You (She's So Heavy) », de l’album
Abbey Road, et, malgré un faux départ sur un titre dû à un mauvais réglage du clavier
utilisé ponctuellement par Tyler sur un morceau instrumental et l’absence de titre
irrésistible à la manière de papa, l’impression très positive laissée par les huit morceaux
joués met plutôt de bonne humeur l’assistance nombreuse (tout le monde n’est pas encore
arrivé, mais la salle sera comble pour la prestation de John Fogerty). La jeune génération
repart sous des applaudissements mérités.
Bonne route à Hearty Har !
Après une petite pause réglementaire, la salle s’est remplie, avec bien entendu plus de
têtes blanches ou poivre et sel que pour un concert de rap, et c’est à 21h 00 que le
spectacle reprend assez curieusement par la vidéo d’une interview donnée par John
Fogerty. L’artiste ne fait pas de grande révélation mais souligne la joie qu’il a à pouvoir
rejouer à nouveau ses morceaux, enfin récupérés, et de se retrouver sur scène pour ça.
Ce sera le leitmotiv de cette soirée et à plusieurs reprises reviendra dans sa bouche la phrase
magique : « I got my songs back » !
Puis à 21h 05 le vrai concert démarre, et sur les chapeaux de roue ! D’abord juché sur un
endroit surélevé en arrière de la scène, John Fogerty, fidèle à son image jeans et chemise
à carreaux, nous assène un « Bad Moon Rising » percutant à la Les Paul Custom tandis
que l’écran placé derrière se charge d’illustrer le propos. Le temps de changer de guitare
et de s’emparer d’une autre Les Paul, dotée celle-là de P-90, et l’artiste descend sur le
devant de la scène pour enchaîner une redoutable série de tubes, en commençant par un
très musclé « Up Around The Bend ». Ceux qui attendaient une idole éteinte et ramollie
en sont pour leurs frais : elle est plutôt en forme, l’idole, et malgré les ans, elle bouge
encore très bien ! La salle s’enflamme, tandis qu’apparaît sur l’écran un cours d’eau
verdoyant en pleine campagne, et c’est parti pour un punchy « Green River » où papa
Fogerty reçoit le renfort en solo du fiston Shane pour les traits de guitare. Non contents
d’avoir assuré la première partie, Tyler (qui s’éclipsera sur quelques titres) et surtout
Shane sont en effet les deux autres guitaristes du set ! Le public commence à reprendre
par cœur les paroles dans une belle ambiance et le groupe sur scène entame « Born On
The Bayou » avec une belle énergie tandis que l’écran diffuse des images de ces marais si
particuliers. La salle conquise répond avec ferveur, le concert paraît bien lancé.
Changement de guitare pour une Strat’, et John Fogerty se lance dans « Rock’n’roll
Girls », un classique de son album solo de 1985 Centerfield, qui voit aussi la première
apparition sur scène d’un saxophoniste (il reviendra!).
Le morceau nous permet de comprendre pourquoi les spectateurs descendus à la hâte pour faire le siège devant la scène ont été bloqués sur les côtés : l’espace est réservé à deux cameramen qui filment
pour une retransmission sur l’écran, en suivant l’action sur scène de près.
Puis le héros de la soirée profite d’un nouveau changement de guitare pour nous présenter
sa Rickenbacker un peu « spéciale » (équipée d’un double bobinage Gibson dans les
aigus) et nous raconter son histoire, et en particulier comment sa très chère épouse a
réussi à la retrouver après 44 ans de séparation et à la déposer comme cadeau sous le
sapin de Noël familial, photos à l’appui sur l’écran. Là dessus, Ricken’ en pogne, il nous
assène son célèbre « Who’ll Stop The Rain », s’empare d’une Telecaster rouge pour
l’entraînant « Lookin' Out My Back Door », puis repasse à la Les Paul Standard noire
dotée d’un vibrato pour l’hypnotique « Run Through The Jungle », occasion aussi de
sortir son harmonica. Retour à la Les Paul Custom pour un « Effigy » chanté en duo avec
Shane alors que le titre n’avait jamais été joué en concert par le Creedence en raison de
cette double partie vocale. Une fois la courte intro passée, la guitare de Fogerty père
semble habitée par des fantômes hendrixiens. Hey John !
La famille semble un refuge très important pour John Fogerty : accompagné sur scène par
ses fils, il parlera aussi souvent de sa femme, tapie dans les loges, et lui rendra un vibrant
hommage, juste avant une fervente interprétation en douceur et à l’acoustique de la
ballade « Joy Of My Life » qui lui est consacrée, tandis que défilent sur l’écran les photos
du couple au cours des années et que Shane se charge du solo.
Après ce moment de calme, il est grand temps de repartir vers des ambiances plus
musclées. Les Paul en bandoulière, notre sérial créateur de tubes immortels commence
avec un « Lodi » en souplesse, accompagné par la salle, puis se dote de la version avec
vibrato pour une démonstration de tapping menant tout droit à « Keep On Chooglin’ »,
gratifié tout d’abord d’un solo très « hard » mêlé d’inspiration hendrixienne, puis John
délaisse sa guitare pour l’harmonica pour réaliser avec le batteur une sorte de sandwich
solo harmo/solo batterie/solo harmo pour finir par une jolie coda harmonisée à la tierce
entre guitaristes avec son fils Shane.
On revient à une transition plus calme avec le fameux protestataire « Have you ever seen
the rain ? » décrivant l’averse des bombes un jour ensoleillé. Un peu éteinte par le titre
précédent, qui ne se prêtait guère à l’exercice, la salle reprend de plus belle les chœurs,
comme pour le titre suivant. Un passage à la Gold Top dotée de P-90 envoie en effet le
groupe dans le très chaloupé et très dansant « Down On The Corner », puis Tyler quitte la
scène pendant que revient le sax et c’est parti pour un « Travelin’ Band » bien musclé : ça
envoie sévère, la salle bouge et se remet encore à chanter pour le titre suivant, la reprise
du « Cotton Fields » de Leadbelly. L’album solo « Centerfield » nous fournit ensuite un
deuxième titre de ses sillons : le syncopé « The Old Man Down The Road » où père et fils
(Shane) entament sur Les Paul une partie de ping-pong guitaristique du plus bel effet.
John se saisit ensuite d’une Les Paul à la décoration immitant curieusement le quadrillage
de sa chemise et le groupe, soutenu par un public enthousiaste se met à pilonner
énergiquement un « Fortunate Son » très attendu et très réussi. La partie du public
jusqu’ici captive sur les côtés du parterre a été libérée et vient s’agglutiner devant la
scène, bientôt rejointe par des centaines de personnes dévalant les gradins. Tout le bas de
la salle est envahi par des spectateurs en délire manifestant leur bonheur de pouvoir
participer à une soirée magique.
Hélas toutes les choses ont une fin, et les musiciens quittent la scène à la fin du morceau.
Le public insiste et demande un rappel, ce qui lui sera accordé. Mais avant, on pousse sur
la scène une table avec des verres et du Champagne, et John fête avec nous ses 78 ans (!)
atteints trois jours plus tôt, le 28 mai. Le rappel commencera par l’obsédant boogie
« Rockin’ All Over the World », sorti en 1975 sur l’album John Fogerty, puis popularisé
en Europe deux ans plus tard par Status Quo, avant l’hommage à Tina Turner décédée
une semaine plus tôt. Le saxo est là et les musiciens se font visiblement plaisir avec un
formidable « Proud Mary » qui montre un John Fogerty encore sautillant, dopé par le
public, qui paraît visiblement insensible à la fatigue. J’aimerais être aussi en forme à son âge !
Plaisir, enthousiasme, punch, joie, énergie… En ce dernier jour de mai 2023, un juvénile
John Fogerty, visiblement ravi d'enchaîner les tubes de Creedence Clearwater Revival
dont il a été privé pendant des années pour des raisons de droits, a permis à tous les
spectateurs de vivre un moment d’exception. Une heure et demie qui a paru bien courte,
et beaucoup de spectateurs auraient bien opté pour une sérieuse prolongation, mais il ne
faut pas trop en demander : n’est-ce pas déjà une chance extraordinaire de pouvoir venir
admirer en concert ce monstre sacré du rock, et en pleine forme en plus ? Le public n’a
pas boudé son plaisir et a repris les paroles par cœur sur pratiquement tous les morceaux.
Dans une salle comble, il a assisté à un très beau concert, porté par un John Fogerty
survolté, un spectacle réglé au millimètre comme les Américains savent le faire, mais
avec ce qu'il faut de spontanéité, de joyeuse connivence, et de plaisir partagé pour en
faire un grand souvenir que la quasi-totalité des personnes présentes espère voir
renouveler un jour.
Y. Philippot-Degand
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